Cameroun : La crise anglophone, un conflit sans fin ?

Par Risk & Ops | 17 novembre 2024 | Actualités

Risk&Ops vous propose un focus sur la crise sécuritaire se déroulant dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun depuis 2016. Une étude de cas sur l’une des milices séparatistes prépondérantes, les Ambazonia Defense Forces (ADF), permettra d’illustrer ce conflit anglophone.

Genèse du conflit

La problématique anglophone prend racine à la fin de la Première Guerre Mondiale, le « Kamerun » était alors sous protectorat allemand depuis 1884. Après la défaite allemande à l'issue de la Première Guerre mondiale, la Société des Nations mandate la France et le Royaume-Unis sur ce territoire. Paris se voit confier une vaste partie du territoire, tandis que Londres récupère une bande de terre longeant le Nigéria jusqu’au Lac Tchad. Ce territoire est divisé rapidement en deux : le Northern Cameroon (Cameroun septentrional) et le Southern Cameroon (Cameroun méridional regroupant le Nord-Ouest et le Sud-Ouest d’aujourd’hui). Les deux entités passent, donc, sous mandat britannique en 1922, puis sous tutelle, en 1946, en accord avec l’ONU.

Néanmoins, cette tutelle britannique n’est pas vouée à perdurer. Le Cameroun français devient indépendant au 1er janvier 1960 et le Nigéria (colonie britannique) se verra accorder son indépendance la même année. L’indépendance du Northern et Southern Cameroon semble plus problématique. Le Northern Cameroon se rattache au Nigéria à la suite d’un référendum en 1961 alors que le Southern Cameroon rejoint la République du Cameroun. Dès 1961, le statut du territoire anglophone est questionné. Des leaders anglophones souhaitent l’émergence d’un Etat fédéral permettant aux deux états anglophones de conserver une part d’autonomie. Cependant, ces aspirations semblent peu considérées. L’Etat camerounais poursuit son processus de centralisation du pouvoir entrainant l’émergence d’un mouvement protestataire anglophone. Ce dernier dénonçant une marginalisation de leur communauté. Durant les années 1990, le parti politique Social Democratic Front (SDF), dirigé par Ni John Fru Ndi, accroit son audience au sein de la scène politique camerounaise, mais durant les années 2000, le parti perd de l’influence et des acteurs plus extrêmes vont émerger et polariser la problématique anglophone.

Le point de bascule se déroule en octobre 2016, des avocats anglophones organisent une manifestation contre la marginalisation de la culture anglophone au sein de la corporation. Au sein des deux régions anglophones, le gouvernement central est la cible des protestations et le mouvement se durcit. Au début de l’année 2017, des mesures de conciliation vont débuter pour apaiser les tensions. Cependant, la situation devient, à nouveau, instable avec des accrochages toujours plus violents entre les factions séparatistes et les Forces de Sécurité. Les tentatives de dialogue, comme en 2019 lors du Grand dialogue national, ne parviennent pas à assainir des débats toujours gangrénés par des factions violentes n’hésitant pas à s’en prendre à la population.

Ambazonia Defense Forces

Alors qu’un accroissement des violences est constaté depuis 2016, des groupes séparatistes émergent. Les Ambazonia Defense Forces (ADF) semblent être l’un de ces groupes armés anglophone prédominants. Les ADF s’affirment comme une entité en 2017 et devient rapidement le groupe le plus influent du Cameroun anglophone avec environ 1500 combattants. Les ADF sont le bras armé du Conseil de Gouvernance d’Ambazonie. Il s’agit d’un mouvement politique qui a émergé dans le cadre du mouvement séparatiste anglophone et qui souhaite établir une nation indépendante.

L’organisation des ADF se caractérise par une décentralisation poussée et l’organigramme demeure opaque. Le peu de documentation concernant les ADF semble démontrer que les injonctions sont données à des commandants locaux à la tête des unités de combat implantées dans les régions anglophones. Ces unités sont composées de différentes brigades avec des sections spécialisées (renseignement ou médicale). Selon certains analystes, Benedict Kuah et Lucas Cho joueraient un rôle central dans l’organisation.

Les coordinations entre l’ensemble de ces groupes armés dépendent le plus souvent d’opportunités ou de querelles de leadership. Au niveau régional, les ADF ont passé un accord avec le Peuple autochtone du Biafra impliquant des opérations conjointes et une entraide logistique. Cette organisation souhaite restaurer l’Etat séparatiste du Biafra. Cet accord fut largement décrié notamment par le Gouvernement intérimaire de l’Ambazonie.

Revendications

Les ADF souhaitent la sécession et l’indépendance des régions Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun, l’objectif initial étant de créer une République fédérale d’Ambazonie indépendante.

Aux prémices de la crise, les militants séparatistes prônaient la non-violence mais cette rhétorique s’est rapidement effritée. Les ADF ont adopté une stratégie plus radicale, soutenant la sécession par la force. Ils estiment que les actions pacifiques et la désobéissance civile ne suffisent pas à protéger les intérêts des régions anglophones. Depuis 2016 les ADF demandent une réparation des faits commis par le gouvernement camerounais et que les supposés crimes des Forces de Sécurité (FDS) soient jugés. Le but principal affiché par l’ADF est, donc, de défendre les anglophones contre la répression gouvernementale en rendant les régions anglophones ingouvernables.

Les ADF se posent en défenseur des populations anglophones qu’ils estiment marginalisées par le gouvernement central. La reconnaissance de la langue anglaise revient régulièrement dans les revendications des ADF.

Les ADF aimeraient également pouvoir capter les richesses naturelles que le sous-sol de cette région contient (pétrole et gaz).

Modes d’actions

Les ADF semblent s'attaquer tant aux forces de défense et de sécurité (FDS) qu'aux populations civiles. Les « ambaboys » mènent des assauts contre les FDS dans leurs casernes ou leur tendent des embuscades. Ces attaques, de type guérilla, sont généralement brèves et font usage d'armements tels que des lance-roquettes et des engins explosifs improvisés.

Parallèlement, les civils sont au cœur des actions des ADF, qui s'adonnent à des braquages, du racket, des enlèvements avec demande de rançon, des attaques ciblant certains établissements publics et à l'utilisation indiscriminée d'engins explosifs. Les différentes violences subies par les civils entraînent une diminution du soutien des populations anglophones et suscitent des critiques sévères de la part de mouvements moins radicaux que les ADF. De plus, certaines communautés, comme les Peuls Mbororos, sont régulièrement visées par les ADF, qui leur reprochent leur proximité avec le gouvernement national.

Les ADF portent également une attention particulière aux écoles, considérées comme des symboles de la marginalisation des anglophones. La milice a appelé au boycott scolaire pour perturber la vie quotidienne et n’hésite pas à détruire, tuer, kidnapper, harceler ou menacer ceux qui refusent de se conformer à cette désobéissance civile. De nombreux rapports de l’ONU et d'Human Rights Watch dénoncent les attaques contre les élèves et les enseignants dans les régions anglophones.

Cette violence ciblée a pour effet un important déplacement des populations. Fin 2023, l'ONU rapportait que près de 360 000 personnes avaient été déplacées au sein des régions anglophones, environ 260 000 avaient fui vers les régions de l’Ouest, du Littoral et du Centre, et environ 90 000 vers le Nigeria. Les violences contre les civils, les destructions de biens, les couvre-feux incessants et les recrutements forcés sont autant de facteurs expliquant ces déplacements continus.

Un dialogue impossible ?

Les ADF persistent et souhaitent la sécession des régions anglophones et la création d’une République fédérale d’Ambazonie. Les chefs séparatistes restent fermement opposés à tout compromis, bien que selon certains observateurs, de nombreux combattants seraient prêts à déserter si une solution politique inclusive était proposée. Une partie significative des combattants serait favorable à un dialogue inclusif et un programme de désarmement.

Face à ces milices séparatiste menées par les ADF, une majeure partie de l’opinion anglophone serait favorable à un fédéralisme à travers une réforme de l’Etat camerounais, le SDF (Social Democratic Front) défend cette option. Mais le camp fédéraliste, tout comme le camp séparatiste, demeure fragmenté et a du mal à trouver une position commune.

En revanche, le gouvernement camerounais se montre intransigeant au sujet de la problématique anglophone et communique peu sur cette dernière. Yaoundé avait décidé, fin 2019, de mener un grand dialogue national pour répondre aux « aspirations profondes » des différents partis impliqués. Ce dialogue avait permis une baisse des incidents sécuritaires et l’adoption de différentes doléances comme l’octroi d’un statut spécial aux deux régions anglophones, des nominations au sein du gouvernement ou la création d’une section « common law » issu du droit anglais à l’Ecole nationale de la magistrature.

Cependant, la société civile anglophone déplore que, 5 années plus tard, l’insécurité reste persistante et la décentralisation est loin d’être achevée d’après eux. Certains leaders d’opinion anglophone, tel que l’ancien porte-parole des ADF Capo Daniel, militent pour un nouveau dialogue national. Ce dernier devrait inclure les séparatistes et aborder l’ensemble des problématiques relatives à la crise anglophone. Cependant, Yaoundé refuse de dialoguer avec les milices armées, dont les ADF, remettant en cause la forme de l’Etat camerounais.

Hormis la complexité de ce dialogue, le conflit anglophone n’est pas au centre des débats au Cameroun. Le principal point d’attention demeure les interrogations au sujet de l’avenir politique du Cameroun. Les prochaines élections présidentielles se dérouleront en octobre 2025 et le Président Paul Biya semble motivé pour briguer un nouveau mandat. Dernièrement, le mandat des députés et conseillers municipaux a été prorogé de 12 mois et les élections législatives et locales se dérouleront après les présidentielles. Cette inversion du calendrier pourrait empêcher certains opposants de se présenter aux présidentielles. Ce contexte politique pourrait être une source de déstabilisation du pays alors que ce dernier est considéré comme un modèle de stabilité dans la sous-région. Les antagonismes ethniques, politiques, régionaux ou religieux pourraient favoriser ce processus.

 

Dans le contexte actuel du Cameroun, marqué par la crise anglophone, et à l’approche des prochaines élections, il est essentiel d'analyser de manière approfondie les entreprises opérant dans cette région dans le cadre d'un partenariat ou d'un investissement. Une gestion rigoureuse des risques peut offrir des opportunités audacieuses.

 

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